KAPLER Victor
Né le 22 février 1910 à Paris (XIVe arrondissement), mort le 21 août 2003 à Saint-Denis-de-la-
Réunion ; médecin généraliste ; militant communiste de Paris et des Pyrénées-Orientales ;
résistant dans les Pyrénées-Orientales ; Évadé de France.



Victor Kapler était le fils d’Abram, Sana Kapler et de son épouse Khaia, Dora Seneerson émigrés juifs de la Pologne russe. Abram Kapler militait au Parti communiste et s’occupait d’une bibliothèque de quartier dans les locaux d’une cellule parisienne. Victor Kapler soutint sa thèse de médecine le 3 décembre 1937 à Paris où il avait fait ses études. Alors qu’il terminait ses études de médecine, Victor Kapler, militant communiste vint s’installer vers 1937-1938 à Saillagouse, chef-lieu de canton de la Cerdagne française. Comme le laissent entrevoir des témoignages concordants, notamment celui de Pierre Soubielle, c’était un « homme de l’ombre », dépêché par les PC et l’IC dans les Pyrénées, près de la frontière franco-espagnole, afin d’observer de près la guerre civile et son évolution. De juillet 1936 à avril 1937, la ville de Puigcerdà, en Cerdagne espagnole, était du fait de sa proximité immédiate de la frontière l’objet de toutes les attentions : en effet, elle fut prise en main par des activistes de la FAI ; les événements parfois tragiques qui s’y produisirent et l’expérience libertaire qui y fut tentée étaient l’objet de la curiosité des reporters de la presse internationale. Chargé de superviser et de faire fonctionner des filières clandestines de passages de volontaires des Brigades internationales, Kapler était en contact en France avec des militants communistes locaux comme Raymond Gaillarde*, de Llo, village proche de Saillagouse et, en Espagne, avec des cadres du PSUC, comme Josep Mas i Tió* de Ripoll. Si nous connaissons mal les détails de ce travail clandestin, nous savons par ailleurs que Victor Kapler déploya aussi une activité politique publique, s’inscrivant dans la dynamique unitaire du Front populaire, participant aux activités d’un PC qui, en Cerdagne, était embryonnaire et ne recrutait que parmi les cheminots et les fonctionnaires des douanes.
Avant et après la Seconde Guerre mondiale, Victor Kapler exerça la médecine générale. Son cabinet était à Saillagouse et il avait des patients dans toutes les communes de Cerdagne. Praticien dévoué, il n’a laissé que d’excellents souvenirs. Au service des habitants, il fut un sérieux concurrent pour le docteur Maurice Clerc, de Bourg-Madame, fils d’un autre médecin de Saillagouse, Georges Clerc, conseiller général de la droite modérée, mais de plus en plus « radicalisé » à la droite extrême au fur et à mesure que se déroulait la Guerre civile espagnole (nommé par Vichy au conseil départemental qui remplaça le conseil général). Maurice Clerc n’hésitait pas à professer ouvertement son antisémitisme, tout particulièrement en faisant allusion à Kapler ; en janvier 1943 il refusa de signer le permis d’inhumer pour le frère de ce dernier, Léon, né à Paris le 30 mars 1913, retrouvé mort à Porté-Puymorens, selon toute vraisemblance assassiné. Mais les électeurs ruraux, en majorité d’opinions modérées qui avaient élu le père du docteur Clerc appréciaient le sens du contact de Victor Kapler et sa générosité. « Gentil, modeste et compétent », il n’était pas « sectaire », effectuant des accouchements avec les infirmières religieuses d’Angoustrine.
Mobilisé en 1939, Victor Kapler était de retour en Cerdagne en 1940. Il s’engagea bientôt dans la Résistance. Mais, le PC était totalement désarticulé en Cerdagne. D’ailleurs, nous ignorons comment Kapler réagit dans les mois qui suivirent le pacte germanosoviétique. Peut-être eut-il un moment de doute que renforcèrent les contacts qu’il eut inévitablement avec un militant communiste qui avait rompu avec le parti, Vital Gayman* replié à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales, Cerdagne) où son épouse était pharmacienne. En effet, les activités clandestines de Kapler et de Gayman s’effectuèrent dans la même mouvance non communiste, celle des réseaux de passage vers l’Espagne toute proche, fort nombreux en Cerdagne, lieu névralgique de la « guerre secrète » (1940-1944) dans les Pyrénées. Inscrit dès 1941 sur une liste des suspects de l’arrondissement de Prades, sa position devint bientôt précaire du fait de sa judéité et ses antécédents politiques. Il fut contraint de se cacher, avant même novembre 1942. Victor Kapler, fut non seulement un homme des réseaux particulièrement actifs dans cette guerre secrète des Pyrénées, mais il fut aussi, localement, l’âme de l’un d’entre eux, « Akak », lié à l’OSS, services secret étatsuniens, (Voir aussi Cayrol Antoine, Malet Gaudérique). Il fit passer en Espagne des aviateurs des forces alliées, des résistants français désireux de gagner Londres puis Alger, des Juifs traqués en partance pour le Nouveau Monde. Un document non daté (1941 ?) nous apprend que, en application de la loi du 16 juillet 1940, il obtint l’une des sept « autorisations provisoires d’exercer la médecine » dans les Pyrénées-Orientales (sur 185 médecins inscrits à l’ordre). Après l’occupation de la zone sud par les Allemands, sa situation devint encore plus précaire. Un ancien gendarme, Puig, le cacha à Saillagouse. La police allemande qui soupçonnait qu’il était planqué à Latour-de-Carol, chez les Jobé, perquisitionnèrent en vain cette maison. Il se cacha ensuite dans un refuge pastoral de montagne aux confins du Capcir et du Conflent. Ce fut le guerrillero Josep Mas i Tió* dont le groupe travaillait de concert avec les réseaux français présents en Cerdagne et en Capcir (« Akak » en particulier) qui prit en charge Victor Kapler. Ce fut Josep Mas i Mas, fils de Josep Mas i Tió qui, dans le premier semestre 1943, le fit passer en Espagne avec sa femme et trois autres Juifs. Capitaine médecin dans l’armée de De Lattre de Tassigny, il participa aux combats d’Italie puis au débarquement de Provence et, enfin, à la campagne contre les forces du Reich, en France et en Allemagne.
Comme il tardait à être démobilisé, les conseils municipaux du canton de Saillagouse votèrent des délibérations identiques demandant son prompt retour en Cerdagne, ainsi celle des édiles de La-tour-de-Carol, votée le 18 juin 1945 : « (…) Aujourd’hui, sa présence est nécessaire en Cerdagne où ses vertus professionnelles, son dévouement inlassable l’avaient fait vivement apprécier ». Cet extrait montre l’immense popularité qu’il avait su acquérir en peu d’années. Fin 1945 ou début 1946, démobilisé, il reprit depuis Saillagouse, ses consultations médicales en Cerdagne, toujours au service des populations. Il s’investit à nouveau dans la politique, militant activement dans les rangs d’un PCF qui en Cerdagne, et singulièrement à Saillagouse, s’était renforcé par rapport aux années précédant la Seconde Guerre mondiale. Il fut l’un des animateurs de la cellule locale de sa commune de résidence. Il resta en Cerdagne, au moins jusqu’en 1954 puis s’installa à Paris. En 1962, son cabinet était situé dans le 14e arrondissement, 121 rue du Château. Il exerça sa profession jusqu’en 1982. Retraité à Paris, il alla s’installer en 1999 à Saint-Denis-de-la-Réunion où son fils aîné avait ouvert un cabinet de médecine générale. Entre temps, à une date que les parents ou amis interrogés ne peuvent situer, il avait quitté le PCF. Il s’inquiéta en 1962 du sort de son frère Léon qui semble aussi avoir exercé la médecine puisque certains témoignages, qui demeurent à confirmer, disent qu’il termina sa carrière comme médecin de la mine de fer du Puymorens (Pyrénées-Orientales). Fugitif, il chercha, dès 1942, une planque en Cerdagne, comptant peut-être sur le réseau de son frère pour passer en Espagne. Le groupe de Josep Mas* le cacha d’abord au barrage des Bouillouses. Il gagna ensuite la mine de Puymorens (commune de Porté, Pyrénées-Orientales), un lieu sûr où travaillaient beaucoup d’Espagnols réfugiés regroupés là dans le cadre des GTE. Sa mort, tragique, dans la neige, pose problème car les témoignages divergent : mourut-il de froid ou fut-il abattu d’un coup de feu, alors qu’il se rapprochait du village de Porté ? Nous avons vu que le docteur Clerc, appelé par le maire de Porté à constater le décès, tergiversa. Pour Victor Kapler, le doute demeurait quant aux circonstances exactes de cette mort. Sans doute était-il au courant de ce qui se racontait d’où sa décision d’adresser en juin 1962 une lettre à la mairie de Porté dont nous ignorons le contenu de la réponse envoyée le 15 juillet 1962. Victor Kapler et son épouse maintinrent des liens d’amitié avec Antoine Cayrol à qui ils rendirent visite à Saillagouse, jusqu’au début des années 1990. Sa femme, Lucienne Thénard, d’origine lorraine, née le 23 janvier 1917 à Thiais (Seine, aujourd’hui Val-de-Marne), militante comme lui, fut institutrice auxiliaire. À compter du 1er octobre 1939, elle assura un intérim à Err où elle remplaça le socialiste Pierre Saury* (ou sa femme) qui, au printemps, avait quitté l’enseignement pour la police et un nouveau destin. S’il semble qu’elle accompagna son mari en Espagne en 1943, elle revint à Saillagouse car, en août 1944, membre du comité local de Libération de la commune elle fut nommée conseiller municipal. Elle exerça ces fonctions jusqu’au renouvellement général des conseil municipaux d’avril-mai 1945. Tant qu’elle résida en Cerdagne, elle fut une active militante du PCF. Ils s’étaient mariés le 19 octobre 1937 à la mairie du XIIIe arrondissement de Paris. Ils eurent deux enfants : Jean, Léon Kapler, né à Perpignan (Pyrénées-Orientales) le 4 octobre 1948, est (2011), médecin généraliste à Saint-Denis de la Réunion ; Georges, René, Joseph Kapler, né le 25 novembre 1952 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) travaille (2011) dans la production cinématographique.

SOURCES : Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 31 W 137, suspects fichés (1940-1944) ; 39 W 66, ordre des médecins, 1940-1944. Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 2 M 264, listes électorales de Saillagouse, 1939 ; 1 T 69, mouvement des instituteurs, octobre 1939. Arch. com. Saillagouse, registre des délibérations ; Arch. com. Porté-Puymorens, lettre de Victor Kapler au maire de la commune (Paris, 30 juin 1962), dans le registre des délibérations. — Arch. com. Latour-de-Carol, registre des délibérations. André Balent, « Dans le sillage de René Bousquet et de François Mitterrand : la carrière de Pierre Saury (1906-1973) », Bulletin de la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, vol. CV, Perpignan 1997, p. 217-272 [p. 231]. — André Balent, « Del Ripollès a la Cerdanya, guerres i revolució : Josep Mas i Tió », Annals del Centre d’estudis comarcals del Ripollès, Ripoll, 2005, p. 81-98 et 98a-98f [p. 90 et note 49]. — André Balent, « Victor Kapler, « médecin des pauvres » en Cerdagne, des années 1930 aux années 1950 », Records de l’Aravó, 4, Latour-de- Carol, 2007, p. 11-12. — André Balent, « Les réseaux clandestins d’aide à l’Espagne républicaine en Catalogne du Nord, passage de volontaires et d’armes (1936-1939) », dans André Balent & Nicolas Marty (coord.), Catalans du Nord et Languedociens et l’aide à la république espagnole (1936-1946), Perpignan, Presses universitaires de Perpignan et Direction de la Culture de la Ville de Perpignan, 2009, pp. 37-51. — Georgette Barnole, « Le docteur Victor Kapler », Records de l’Aravó, op. cit., p. 13. — Ramon Gual & Jean Larrieu, « Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane », t. II b, Terra Nostra, n° 93-96, Prades, 1998, p. 473, p. 592. Le Travailleur Catalan, Perpignan. Entretiens avec : M. Barnole, originaire de Porté-Puymorens et de son épouse, originaire de Latour-de-Carol (Latour-de-Carol, mars et avril 1997, 5 novembre 2007), de Pierre Soubielle, fils de Sébastien Soubielle militant SFIO, puis pivertiste et, enfin communiste, de Fontrabiouse-Espousouille, en Capcir (Caldégas, 22 février 1999) ; Josep Mas i Mas, fils et compagnon de maquis de Josep Mas i Tió (Sant Pere de Torelló, 21 août 2004). — Entretien téléphonique avec Jean Kapler, médecin à Saint-Denis-de-la-Réunion, 22 avril 2011. — Courriers électroniques de Jean Kapler, 23 et 25 avril 2011. Nombreux témoignages informels.

André BALENT